À l’invitation de la Société d’Histoire de Molsheim et environs Frédérique Neau-Dufour animera une conférence sur le « Struthof, 1944-1945, un camp pour l’épuration » le vendredi 6 décembre à 20 h au cinéma le Trèfle à Dorlisheim (entrée libre)

L’historienne Frédérique Neau-Dufour lève le voile sur une période obscure du Struthof : le lendemain de la Libération où Allemands et Alsaciens y seront internés… sans jugement

La 3e division d’infanterie américaine libère Saâles en novembre 1944. Elle se dirige vers Strasbourg en suivant la vallée de la Bruche. Le 25, ordre est donné de nettoyer le secteur de Schirmeck. Selon le rapport des opérations, à 13 h 15, sur les indications d’un villageois, une patrouille se dirige alors depuis Rothau vers le village de Natzwiller. Et à 4 km de là, les GI’s découvrent le premier camp de concentration à l’ouest de l’Europe… Le Struthof est vide d’hommes et de cadavres mais les traces de l’horreur sont palpables. « Les Allemands sont partis la veille » rappelle Frédérique Neau-Dufour. Emmenant avec eux les derniers déportés pour les transférer outre-Rhin, comme d’ailleurs tous les autres occupants du camp évacués depuis septembre.

Mais le site ne sera pas désert bien longtemps : « Les FFI, préfet et autres autorités renaissantes de la France décident d’y interner ceux qu’ils considèrent comme représentant une menace pour le pays ». L’ancienne directrice du Centre Européen du Résistant Déporté dénonce « un internement administratif sans jugement ». « Une injustice ». Sont visés : les Allemands, surtout civils et principalement des femmes et enfants, « des gens, des familles venus avec les nazis ». Les hommes pour beaucoup sont encore au front. « Nous sommes toujours en pleine guerre, l’Allemagne ne capitulera qu’en mai 1945 », rappelle Frédérique Neau-Dufour. Les autorités ratissent large et embarquent également bon nombre d’Alsaciens soupçonnés de collaboration dont quelques « célébrités » comme le dessinateur Alfred Spaety, dont les affiches ont été utilisées pour germaniser l’Alsace.

Frédérique Neau-Dufour appuie son propos sur nombre de documents, « des cartons d’archives ». Soucieuse d’éclairer cette phase méconnue de l’Histoire – avec à terme, outre les conférences, d’éventuelles publications — elle a également recueilli à cette heure, 10 témoignages : « Six sont des écrits personnels en allemand de personnes à présent disparues et j’ai rencontré quatre autres personnes directement, un Allemand, une Alsacienne, un Alsacien ainsi qu’un Alsacien dont la mère était allemande et le père français » précise-t-elle.

Mais les traces de cette période de « chaos », restent bien enfouies. Et les chiffres sont rares : « On sait que 8 500 Allemands sont passés par le Struthof entre janvier et novembre 1945 ». Le pic d’internement se situant à l’été 45 avec 4 054 détenus dont 1 835 Allemands dénombrés le 31 juillet. Un chiffre qui baissera ensuite jusqu’à l’arrêt de l’internement sans jugement le 15 novembre 1945. Le « turnover » entre les camps est important. Au moins six sites d’internement sont répertoriés en Alsace. Frédérique Neau-Dufour évoque l’actuelle résidence de la Gallia ou encore le Lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg. Sans compter les nombreux autres camps en France.

À Natzwiller, les conditions d’internement ne sont guère reluisantes : de nombreuses exactions, des nouveau-nés y perdent la vie. Les internés décédés sont d’ailleurs enterrés dans un « cimetière officiel » situé dans le sous-bois du Struthof. « Un convoi de 1 000 personnes a même été passé à tabac en janvier 1945 » illustre encore notre historienne. Et tout cela dans une atmosphère délétère, quelque peu arbitraire et longtemps refoulée. « Un groupe d’anciens internés s’était constitué en association pour demander réparation à l’État français ». Sans succès.

Pour ajouter au malaise ambiant, notons que le Struthof entre déjà à l’époque dans une phase mémorielle. « Des pèlerins commencent à venir et des cérémonies ont lieu dès janvier 1945 » précise Frédérique Neau-Dufour. Cet aspect mémoriel prendra toute sa dimension après 1949. Le Struthof appartient alors au ministère des Anciens Combattants dans la foulée d’une période pénitentiaire -45/49- sous autorité, elle, du ministère de la Justice (où des collaborateurs seront internés, après jugement cette fois). Mais cette mémoire n’en reste pas moins sélective. Les internés de 45 font partie des oubliés de l’Histoire.

(Article DNA/DG – 30.11.2019)

 

Catégories : Histoire

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