Il y a 50 ans, le 9 novembre 1970, Charles de Gaulle s’effondrait à la Boisserie. Des milliers de lettres adressées à sa veuve y convergeront rapidement. Un matériau mémoriel grâce auquel l’historienne urmattoise Frédérique Neau-Dufour livre un portrait de la France d’alors et de son rapport à l’Homme du 18 juin.

Ce fut une déferlante. Il fallut renforcer l’équipe locale de la poste car elles arrivaient par sacs postaux entiers. De toute la France, bien sûr, mais aussi de l’étranger, illustrant la dimension internationale de Charles de Gaulle et l’émotion suscitée par son décès. De cette profusion vertigineuse de lettres adressées à sa veuve, ne demeure qu’une vingtaine de cartons conservée à la Fondation Charles-de-Gaulle à Paris.

« Cela représente à peine un dixième du total. Malheureusement, on ignore ce qu’il est advenu du reste », confie Frédérique Neau-Dufour qui fut chargée de recherche au sein de l’institution de 1998 à 2009, avant d’assurer la direction du Centre Européen du Résistant Déporté (Natzweiler-Struthof) de 2011 à 2019. Autant dire que depuis une vingtaine d’années, les univers du Général, de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance lui sont plutôt familiers.

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Jusqu’à maintenant, personne n’avait encore songé à étudier ce fonds, à la fois modeste et conséquent – on parle tout de même de plusieurs centaines de lettres. Trop anecdotique ? Concernant la veuve du grand homme et non pas directement celui-ci ? « Quand on pense à de Gaulle, c’est la figure historique qui vient à l’esprit : l’homme du 18 juin, le fondateur de la VeRépublique, l’acteur de la décolonisation… Ces lettres n’avaient pas attiré l’attention des historiens. C’est dommage, parce qu’elles sont touchantes et disent aussi beaucoup de choses sur la France de cette époque et de son rapport à de Gaulle.

Et c’est bien là l’intérêt principal de l’ouvrage que publie Frédérique Neau-Dufour : La France pleure de Gaulle. Parce qu’en effet, aussi fragmentaire soit-il, ce fonds brasse large, tant sur le plan social que générationnel. On va de la fillette de 9 ans au retraité, du cheminot au directeur d’entreprise, de la mère de famille à l’ancien résistant.

L’historienne y voit l’image d’une France entretenant un rapport quasi filial au Général. « La métaphore du père est fréquemment utilisée dans les lettres, même si les circonstances se prêtent parfois à l’hagiographie. On ressent aussi combien le poids de la Seconde Guerre mondiale demeure encore présent dans la France d’alors », poursuit Frédérique Neau-Dufour. Après Roosevelt, Staline, Churchill puis Eisenhower, de Gaulle est le dernier à disparaître des grands dirigeants qui se sont battus contre l’Allemagne nazie.

« Ce que disent aussi ces lettres, c’est la confiance qui règne encore en France entre l’élite, représentée par le chef de l’État, et le peuple saisi dans toute sa diversité. Il n’y avait pas la fracture et la méfiance qu’on constate de nos jours. Les plus humbles se sentaient incarnés par de Gaulle », observe Frédérique Neau-Dufour. En témoigne une lettre adressée par une habitante du Mans à Yvonne de Gaulle, si lointaine et si proche : « Si j’ai surmonté la timidité pour écrire cette lettre, c’est que seul le général de Gaulle a compris combien les petites gens du peuple le comprenaient et l’aimaient. »

Et puis, au-delà de ce en quoi ces lettres participent à une histoire des représentations et des sentiments, ce fonds éclaire aussi les contours de la personnalité de Gaulle. « Il semblait imperméable à beaucoup, mais de Gaulle était attentif aux plus fragiles, aux plus humbles. Beaucoup de souvenirs remontent, qui documentent l’homme et le soldat », observe encore Frédérique Neau-Dufour.

Une anecdote parmi d’autres : durant la drôle de guerre, de Gaulle est en poste à Wangenbourg. Il est hébergé par la famille Rèbre dont le jeune Marius, à Noël se voit offrir un livre par celui qui incarnera bientôt le refus de la défaite. Dans la lettre de condoléances que Marius, devenu adulte, adresse à Yvonne en évoquant ce cadeau, celle-ci note dans la marge : « Je me souviens d’avoir choisi ce livre. »

La France pleure de Gaulle , à La Nuée Bleue, 159 pages, 30 €. Rencontre en Facebook Live à la librairie Kléber, mardi 10 novembre à 15 h puis sur la chaîne YouTube de la librairie.

(DNA-Serge Hartmann-07/11/2020)

Catégories : Histoire

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