Message de Patricia MIRALLES,
secrétaire d’Etat auprès du ministre des Armées,
chargée des Anciens combattants et de la Mémoire
En cette Journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, nous honorons toutes les victimes.
Les morts tombés dans les combats et dans les attentats avant la conclusion du cessez-le-feu, comme ceux qui connurent le même sort tragique après cette date. Nous reconnaissons le soulagement de ceux pour qui l’annonce de la fin des combats suscita l’espoir d’un prochain retour, sains et saufs, dans leurs foyers. Comme nous reconnaissons le désespoir de ceux qui avaient à redouter de ne plus avoir de foyer dans cette terre dont la France se retirait. Alors que, pour beaucoup de Français, les accords d’Evian marquaient la fin de la guerre d’Algérie, pour d’autres ils annonçaient le début de la fin du monde qui était le leur. Ce fut une déchirure, qui pour aussi inévitable qu’elle fût n’en a pas été moins vive.
Nul ne conteste que le cessez-le-feu ne fut pas partout respecté. Chez les militaires, comme chez les civils, des morts s’ajoutèrent encore aux morts. Des blessés aux blessés. Des disparus aux disparus. La période qui s’est ouverte après le 19 mars 1962 a été celle de bien des souffrances. Pour les appelés qui sont restés en Algérie, pour les Harkis, pour les victimes civiles des attentats et des massacres, pour ceux qui furent contraints de quitter la terre où ils étaient nés et de découvrir le sentiment de l’exil dans leur propre pays. Le glas tragique en est marqué par tant de dates, dès le soir du 19 mars, le 26 mars, le 14 mai, le 5 juillet…
Quand vint enfin, en particulier pour le contingent, le moment du retour, il n’y eut pour accueillir nos soldats, nos appelés, ni défilé, comme ceux qui avaient célébré le retour des combattants de la première puis de la deuxième génération du feu, ni cérémonie collective. La Nation ne sut guère leur dire sa reconnaissance d’avoir répondu à l’appel du devoir.
Ils avaient 20 ans, et à la joie de retrouver une fiancée ou une épouse, une sœur ou un frère, une mère ou un père se conjugua la difficulté de raconter ce qu’ils avaient vécu, et d’être entendus. Souvent ils se sont heurtés au refus de leurs proches d’entendre les vérités trop cruelles d’une guerre dont certains ont essayé de témoigner.
Comment partager l’expérience singulière de l’ultime engagement du contingent, quand ces jeunes appelés ne pouvaient évoquer la guerre, quand le retour dans les foyers ne fut pas accompagné d’une reconnaissance collective. Quand, comme pour les blessés, ils furent rapatriés dans l’ombre pour ne pas inquiéter l’opinion publique, dans des conditions trop souvent indignes des dangers auxquels ils avaient été exposés, des sacrifices qu’ils avaient consentis. Quand ils savaient que les cercueils de leurs camarades morts pour la France avaient été débarqués dans la nuit et le silence.
Alors même qu’ils se battaient pour elle en Algérie, les appelés voyaient la France des Trente Glorieuses découvrir la société de loisirs, incapable de comprendre ses enfants. S’y ajoutaient les sentiments mêlés que faisaient naître la participation à un conflit dont une partie des Français contestaient la légitimité même.
Ils sont rentrés d’une guerre dont on avait trop vite voulu tourner la page. 61 ans plus tard, ces souvenirs restent vivaces et douloureux pour beaucoup. Il nous faut le reconnaître.
Pour cette génération, il a fallu après la guerre mener de nouvelles batailles pour obtenir la reconnaissance de la Nation. Elles passaient par les mots : appeler guerre ces opérations. Par les droits : se voir reconnaître la qualité de combattants. Par les cérémonies : c’est la date qui nous rassemble.
Après les commémorations du 60e anniversaire voulues par le président de la République, les gestes et les déclarations, une nouvelle page doit pouvoir s’ouvrir. Il nous faut continuer à regarder et accepter ce pan de notre histoire collective dans son extrême complexité, assumer d’en transmettre la mémoire, mais sans transmettre aux nouvelles générations les passions d’alors. Il nous faut admettre que des mémoires diverses s’expriment et que la seule voie est de les additionner et non de les opposer. C’est le seul chemin pour la cohésion nationale.
Vive la République ! Vive la France !